Dans «
Il faut sauver le soldat Ryan », la reconstitution du Débarquement
surpasse tout ce qui a été fait jusque-là. Dommage
qu’ensuite le film retombe dans les conventions hollywoodiennes
Le Nouvel Observateur.
Comme historien, quel regard portez-vous sur le film de Spielberg Saving
private Ryan ?
Marc Ferro. - D'abord il faut saluer l’extraordinaire réussite de la reconstitution du Débarquement en un lieu particulier, Omaha Beach. La nouveauté de ce regard, c'est que le Débarquement est vu par les yeux de ceux qui y ont participé, et qu'il n'est pas faussé par une volonté de représentation globale de l'événement historique. Cette reconstitution atteint des sommets, notamment grâce à une bande-son exceptionnelle.On est saisi. Passé cette scène d'ouverture, un autre film commence qui, lui, cède à tous les poncifs du western ou du film de guerre classique. A partir de là, les nécessités de la dramaturgie l'emportent sur le regard historique. N.0. -L’histoire n'a pas de scénariste... M.Ferro. - Donc l'ordre cinématographique remplace l'ordre historique. Un artifice est d'autant plus gênant que la rupture est totale avec l'authenticité de la première scène. On a, selon la convention du genre, le petit groupe qui représente un échantillon de l’Amérique, avec un Italien, un juif... On a le dernier carré enfermé dans Fort-Alamo, l'arrivée in extremis de la cavalerie - en l'occurrence l'aviation. Avec toutes les invraisemblances que cela suppose, car il est évidemment impossible qu’un groupe de sept hommes (sept comme , "les Sept Mercenaires") puisse tenir tête à l'armée allemande et accomplir ce qu’on leur fait faire. Là, on est en plein mythe. |
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N.0. - La force
de la reconstitution du Débarquement dans le film de Spielberg tient-elle
seulement aux prouesses techniques ? Ne traduit-elle pas aussi une modification
du regard de l’Amérique sur la guerre tel qu’il a été
transformé par la guerre du Vietnam, Première guerre retransmise
en direct à la télévision ?
M.Ferro. - Vous avez raison. Et ce qui rend le rapprochement plus justifié encore, c'est qu'on voit dans le film de Spielberg qu'un débarquement si bien préparé provoque un terrible gaspillage en hommes, à cause d'un ni manque de préparation dans les détails. Ces soldats qui débarquent en Normandie armés de simples fusils alors qu’ils vont se heurter à des blockhaus imprenables, par exemple, c’est aberrant. Avant, les films de guerre évoquaient plutôt la dureté du commandement, les excès de la discipline rnilitaire, comme dans "les Sentiers de la gloire", de Stanley Kubrick. "Ryan" montre les défauts d'une organisation pourtant ultrasophistiquée. Chose à laquelle l’Amérique est très sensible depuis le Vietnam. N.0. - D'où l'obsession du zéro mort, telle qu’elle s'est illustrée dans la guerre contre l’Irak ? M. Ferro. - Non, C'est une vieille tradition américaine. Rappelez-vous qu'en 1917 ce qui frappait le commandement français c'est que les Américains perdaient peu de soldats et qu'ils multipliaient les moyens matériels pour épargner les hommes. Pétain en a d’ailleurs tiré des leçons sur la façon de faire la guerre. Dans l'histoire des Etats-Unis, il y eu une terrible et grande exception, cela a été précisément ce débarquement. Et bien sûr la guerre du Vietnam. Alors, on est revenu à la tradition, confortée par la supériorité technologique dont jouissent les Etats-Unis. N.0. - En 1944, pouvait-on débarquer à moindre coût humain ? M.Ferro. - Le choix de débarquer impliquait des pertes élevées. Il n'impliquait pas que le massacre atteigne de telles proportions, qui tiennent au fait que certains détails techniques ne correspondaient pas à ce qu'un état-major prévoyant aurait pu imaginer. J'ai évoqué l'armement : dans une situation particulière, on a appliqué des normes de combat générales qui n'étaient pas forcément adaptées. Et le film rend visible ce type de problèmes. Vous parliez de ce journaliste qui dit qu'il n'y aura plus de guerre, disons que, s’il doit y avoir demain un débarquement quelque part, on ne fera plus ce genre d’erreurs. Moins à cause de "Ryan" que de ce qui s'est passé à Omaha Beach. Propos
recueillis par CLAUDE WEILL
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